Projet 2021-0QBA-297388 / Octroi FRQSC
Évaluation SOcio-GÉRiatrique (ESOGER) : un outil clinique télépratique pour lutter contre l‘altération de l’état de santé et l’isolement social des personnes aînées vulnérables.
Chercheur principal :
Dr Olivier Beauchet, Université de Montréal
RATIONNEL
Conséquences de la pandémie due à la maladie à coronavirus (COVID-19) dans le groupe des personnes aînées (PA) québécoises
Le 13 mars 2020, le Québec a été la première province du Canada à déclarer l’état d’urgence sanitaire en raison de la pandémie due à la COVID-191. Les PA (i.e., ≥ 70 ans), qui représentent 12,7% de la population québécoise – soit environ 1 million de personnes – ont été et sont toujours le groupe d’âge le plus affecté par cette pandémie, tant en termes d’hospitalisations et de décès que d’altération de leur état de santé et de perte d’autonomie. Ces complications sont liées à l’infection par le coronavirus ou des conséquences des mesures prises pour ralentir et prévenir la progression de la maladie dans la population générale.
L’une de ces mesures est le confinement à domicile. À l’échelle de la population générale, ce confinement a été et reste une intervention qui lutte efficacement contre la progression de la pandémie. À l’échelle du groupe des PA, il a malencontreusement entraîné des effets négatifs dus à leur état de santé antérieurement altéré par des maladies chroniques, ce qui les a rendues plus vulnérables au déconditionnement moteur et psychologique. Ce déconditionnement a généré une boucle vicieuse qui est venue accélérer l’altération de leur santé – physique et mentale – et leur perte d’autonomie (Cf. Figure 1), les exposant ainsi à la survenue de conséquences telles que l’isolement voire l’exclusion sociale, la détérioration de leur bien-être et de leur qualité de vie, la rupture des liens intergénérationnels, l’émergence de l’âgisme et des coûts financiers élevés liés à un recours important aux ressources de santé et services sociaux (SSS).
Figure 1. Altération de la santé des PA: conséquences et leviers possibles
Acteurs communautaires des services et soins de support du domicile
La majorité des PA québécoises (92%) vit à domicile. Au Québec, le soutien à domicile des PA à l’état de santé altéré et en perte d’autonomie est assuré par trois grandes catégories d’acteurs communautaires qui sont: (1) les personnes proches aidantes (PPA) définies par le Ministère SSS (MSSS), comme « toute personne de l’entourage qui apporte un soutien significatif, continu ou occasionnel, à titre non professionnel, à une personne ayant une incapacité » et qui représentent 25% de la population québécoise; (2) le programme-services de Soutien à l’Autonomie des Personnes Âgées (SAPA) des Centres Intégrés (Universitaires) de Santé et des Services Sociaux (CIUSSS et CISSS); et (3) les organismes du milieu communautaire n’appartenant pas au réseau SSS mais intervenant auprès des PA (i.e., réseau non-SSS) dont font partie entre autres: (a) les entreprises d’économie sociale en aide à domicile (EÉSAD) qui fournissent des services dits essentiels, (b) le service du 211 (service d’aide par téléphone qui lutte contre la pauvreté et l’exclusion sociale, en permettant aux gens d’être informés rapidement sur les ressources d’aide sociocommunautaires de proximité), (c) L’Appui pour les proches aidants d’aînés (organisme qui offre des services de soutien pour les PPA depuis 2009) ou encore (d) « Les Petits Frères », organisme à but non lucratif accompagnant les PA à domicile depuis 1962 au Québec.
Besoin
Avant la pandémie, 84% des PA avaient un état de santé altéré par au moins une maladie chronique et une sur dix rapportait une incapacité à l’origine d’un besoin d’aide pour réaliser ses activités quotidiennes. En 2016, on estimait que 291 200 PA sur les 406 000 (soit 72%) ayant plusieurs incapacités recevaient au moins un service et/ou soin de support du domicile payé en tout ou en partie par le MSSS. Il restait donc approximativement 100 000 personnes ayant des incapacités modérées ou sévères qui ne recevaient aucun service public ou privé financé par le MSSS. Il était estimé que si cette tendance se maintenait dans le temps, ce chiffre atteindrait 115 000 personnes en 2021. La proportion des PA à l’état de santé altéré et en perte d’autonomie, ainsi que la sévérité de ces deux conditions, a augmenté avec la pandémie (Cf. Figure 1), ce qui entraîne un besoin accru de services et soins de support du domicile, et a probablement accentué le nombre et la proportion des PA nécessitant des services et soins dont elles auraient besoin mais n’en recevant pas.
La pandémie a engendré des difficultés du maintien des services et soins de support du domicile fournis par les professionnels des réseaux communautaires SSS et non-SSS en raison des mesures de distanciation sociale et physique, de prévention contre les infections, de manque de personnels et de peur de la PA d’être en contact avec des intervenants venant de l’extérieur. Par ailleurs, les PPA peuvent se retrouver aujourd’hui en situation d’épuisement physique et psychologique dû à une sur-sollicitation lors de la première vague de la pandémie, aboutissant à l’altération de leur état de santé, ce qui les expose aux mêmes conséquences que celles affectant la PA, surtout si ces dernières sont âgées (Cf. Figure 1). Soutenir les PPA est donc une nécessité tant sociale, politique qu’économique en raison de leur nombre croissant, des difficultés qu’elles rencontrent et de l’importance de leur rôle-clé tant auprès de la PA aidée, qu’en tant que partenaires des réseaux communautaires du soutien à domicile.
Constat post première vague de la pandémie
Nous nous retrouvons donc aujourd’hui dans une situation où il existe: (1) un nombre accru de PA à l’état de santé altéré par la pandémie, en situation de perte d’autonomie grandissante, nécessitant des services et soins de support du domicile pour lutter contre la progression de leur perte d’autonomie et la survenue des complications liées (Cf. Figure 1), et en parallèle (2) des PPA et organismes du milieu communautaire du soutien à domicile des PA affaiblis par cette pandémie, n’arrivant plus à maintenir le niveau de services et soins qu’ils prodiguaient avant.
Il est donc crucial aujourd’hui de mettre en place des solutions innovantes pour lutter contre – c’est-à-dire éviter, retarder ou ralentir – l’altération de la santé physique et mentale, la progression de la perte d’autonomie et l’isolement social des PA vulnérabilisées par la pandémie due à la COVID-19, afin d’améliorer leur qualité de vie et leur inclusion sociale, et ainsi maintenir la dynamique sociale québécoise du vivre-ensemble. Pour rendre efficaces et efficientes ces solutions, elles doivent être: (1) complémentaires de celles déjà mises en place par les PPA et organismes du milieu communautaire fournissant les ressources du soutien à domicile des PA, (2) co-développées en étroite collaboration avec ces acteurs et les PA elles-mêmes pour une meilleure approbation et (3) intégrables dans le continuum des services et soins de support du domicile (Cf. Figure 1).
Évaluation socio-gériatrique (ESOGER)
En pleine crise sanitaire engendrée par la première vague de la pandémie due à la COVID-19 et pendant le confinement à domicile des PA, deux actions nous sont apparues prioritaires: (1) le repérage des PA vulnérables les plus à risque de complications (Cf. Figure 1) associé à (2) la mise en place d’interventions curatives et préventives selon une procédure accélérée. C’est dans ce but et sur la base des conclusions de l’INESSS que nous avons conçu et mis à la disposition des réseaux communautaires intervenant auprès des PA un outil d’Évaluation SOcio-GÉRiatrique nommé « ESOGER ». Cet outil se présente sous la forme d’un questionnaire simple, accessible sur une plateforme numérique sécurisée. ESOGER permet d’évaluer et d’intervenir rapidement et à distance au cours d’un appel téléphonique réalisé par un intervenant des organismes du milieu communautaire, avec la PA et/ou une PPA en: (1) déterminant si les besoins essentiels sanitaires et sociaux sont satisfaits et s’il existe une rupture ou un risque de rupture de la couverture de ces besoins, et en (2) proposant des recommandations d’interventions à mettre en place pour lutter contre la rupture de la couverture des besoins essentiels et/ou les complications qui y sont liées. Entre avril et octobre 2020, près de 7 500 connexions ont été enregistrées sur la plateforme numérique ESOGER. Plus de 2 000 ont donné leur accord pour que les données saisies soient utilisées dans un but de recherche.
Constat issu d’ESOGER
Il est important pour mieux affronter la pandémie due à la COVID-19 et les éventuelles vagues subséquentes de tirer les conclusions des actions mises en place lors de la première vague et de les améliorer, afin de limiter la progression et les conséquences de l’altération de la santé et de la perte d’autonomie des PA (Cf. Figure 1). À l’issue de la première vague, ESOGER paraît être un outil pertinent de repérage et d’intervention, reposant sur une nouvelle approche des services et soins de support du domicile dite « télépratique » permettant de lutter contre la progression de l’altération de l’état de santé physique et mentale, la progression de la perte d’autonomie et l’isolement social des PA et des conséquences liées (Cf. Figure 1)17. L’utilisation d’ESOGER lors de la première vague par les acteurs des organismes du milieu communautaire a également démontré les possibilités de son intégration dans le continuum des services et soins de support du domicile. Enfin, l’intérêt et l’utilité d’ESOGER ont été dernièrement soulignés par le MSSS qui recommande depuis octobre 2020 l’utilisation de cet outil au sein des programmes-Services SAPA du Québec.
Enjeux d’ESOGER
ESOGER doit être un outil clinique efficace et efficient permettant (a) de repérer la « bonne PA » – c’est-à-dire la plus vulnérable et donc à risque – et de le faire au « bon moment » – c’est-à-dire le plus tôt possible (i.e., approche proactive recommandée par l’INESSS); (b) afin de lui proposer les « bonnes interventions » – c’est-à-dire celles qui auront son approbation et qui seront accessibles et intégrables dans le continuum des ressources de support du domicile déjà en place.
HYPOTHÈSE DE RECHERCHE
Nous formalisons l’hypothèse qu’ESOGER est: (1) un outil clinique permettant de repérer la fragilité des PA dans ses principales dimensions (i.e., santé physique et mentale, sociale) en période de pandémie due à la COVID-19; (2) une nouvelle approche d’utilisation des services et soins de support du domicile dite « télépratique » reposant sur des interventions luttant efficacement contre la progression de l’altération de la santé physique et mentale, de la perte d’autonomie, de l’isolement social en période de confinement (Cf. Figure 1); (3) une solution maintenant les PA en meilleur état de santé, avec une meilleure qualité de vie et favorisant leur inclusion sociale.
OBJECTIF
L’objectif de cette étude est d’examiner les effets d’ESOGER sur l’état de santé physique et mentale, la perte d’autonomie, l’isolement social, la qualité de vie et la consommation de ressources en services et soins de SSS des PA vivant à domicile sur le territoire du CCSMTL et de leur proche aidant.